Le sens de la peine

Quel regard portons-nous sur les personnes détenues ? La question n’a peut-être jamais effleuré votre
esprit, tant elle semble décalée. L’occasion vous est donnée d’y répondre maintenant, et peut-être
aussi à la fin de cet article.

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Je constate régulièrement que la réponse oscille entre deux pôles, de l’indifférence au mépris, y compris chez les chrétiens. Où qu’on se situe sur cette échelle, on n’est pas, à mon avis, au bon endroit.

« S’ILS SONT EN PRISON , CE N’EST PAS POUR RIEN ! »

« Ce n’est que justice pour les victimes ! » La logique rétributive est bien ancrée dans notre société : les personnes ayant commis un délit doivent payer. Cette logique est alimentée par l’émotion légitime qu’on peut ressentir devant le sort des victimes : « Il faut qu’il souffre pour la souffrance qu’il a causée à d’autres. » Ici, la peine consiste simplement à ajouter une souffrance.
L’indignation suscitée par les activités dites ludiques en détention est une bonne illustration de cette logique : les personnes détenues n’auraient pas le droit de vivre de tels moments.
À se demander si on consent à ce qu’elles vivent, tout simplement…

Les activités maladroitement qualifiées de « ludiques » sont en réalité là pour restaurer l’estime
de soi et permettre d’avancer vers la réinsertion. Ces activités sont un droit prévu par la loi et non une faveur : elles sont absolument nécessaires dans ce contexte évidemment marqué par la privation de liberté, mais aussi par la surpopulation (80 669 détenus, dont 4 310 matelas au sol pour 62 385 places). Ces conditions sont indignes autant pour les personnes détenues que pour le personnel pénitentiaire. Il est bon
de se rappeler que ces personnes réintègreront, pour la plupart, notre société. Dans quel état voulons-nous qu’elles la réintègrent ?

Notre coeur penche naturellement vers les victimes. Nous nous associons légitimement à elles. Si l’émotion pour les victimes est bonne, rappelons-nous aussi qu’elle peut conduire à la haine et à la colère, et finalement à une perception faussée, qui ne prend pas en compte l’ensemble de la situation. Il y a un temps pour l’émotion ; il y a un temps pour la réflexion.

UN AUTRE REGARD

Une personne est rarement en prison pour rien. Oui, elle a commis un acte qui souvent justifie sa mise en détention. Mais il y a aussi un itinéraire qui a conduit cette personne à commettre un délit. Elle ne s’est pas réveillée un beau matin en se disant qu’elle allait enfreindre la loi.
Quand on prend sincèrement le temps d’écouter son histoire, on comprend souvent comment la personne en est arrivée là. En tant qu’aumônier de prison, je rencontre une grande diversité de personnes et d’histoires. En réalité, la frontière qui nous sépare de la prison est bien ténue.

Sans minimiser ce que la personne a fait, il s’agit de chercher à comprendre le chemin qui l’y a menée.
Comprendre n’est pas excuser : l’amalgame est trop souvent fait.

Le récent livre de Paul Gasnier, La collision 1, l’illustre de façon magistrale. Ce jeune journaliste raconte le terrible accident qui a conduit sa maman à la mort : un jeune récidiviste, sous l’emprise de stupéfiant, en roue arrière sur sa motocross, l’a renversée alors qu’elle se rendait à vélo au travail. Dans son enquête, 10 ans après les faits, Paul Gasnier a cherché à en savoir plus sur Saïd, sur son histoire et celle de sa famille.

Sans nier la responsabilité individuelle de Saïd, il a compris que son histoire, comme un poids, l’a tiré vers le fond. Il a aussi réalisé que la famille de Saïd était aussi victime de ce drame. Ce n’était pas simplement la collision d’une moto et d’un vélo, mais aussi celle de deux mondes aux trajectoires différentes, portant chacun les conséquences de ce drame. Dans sa démarche, Paul Gasnier met en évidence que le délit est d’abord la rupture d’un lien, non seulement avec les victimes, mais aussi avec la famille et plus globalement avec la société. Il n’est pas simplement une transgression de la loi qui se règle à coup de punitions. En remontant le fil de ce lien brisé, Paul Gasnier a pu considérablement avancer.
C’est là aussi le sens de la justice restaurative. Ce témoignage montre qu’une attitude humaine et constructive est non seulement possible, mais aussi salutaire. Si l’auteur, directement touché par ce drame, est capable de prendre de la hauteur, nous aussi en sommes capables, à plus forte raison si nous nous revendiquons disciples du Christ.

« J’ÉTAIS EN PRISON ET VOUS ÊTES VENUS ME VOIR »

Jésus porte un regard bienveillant sur chaque personne et tend la main tout particulièrement aux personnes méprisées et rejetées. Nousmêmes, en tant que pécheurs, sommes au bénéfice de sa grâce et de son amour. Dieu aime ceux qui sont en prison, quels que soient leurs crimes ; de même qu’il nous aime, quels que soient nos péchés. J’aime le répéter, et souvent cela interroge : « Je ne me sens pas meilleur que ceux que je visite en prison » ; « Je rencontre des frères en Christ en prison. »

En Matthieu 25.35-46, Jésus nous appelle à suivre son exemple, à refléter concrètement son amour et sa grâce auprès des personnes dans le besoin, notamment celles qui sont détenues : « … j’étais en prison et vous êtes venus me voir (…) Je vous le déclare, c’est la vérité : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. »

On ne peut pas visiter quelqu’un qu’on méprise. On ne peut pas visiter quelqu’un qu’on ignore. À défaut de pouvoir visiter les personnes en détention, commençons par les considérer, porter un regard plus juste sur elles et les soutenir dans la prière. Un chemin de restauration est possible. Personne n’est irrécupérable ! Même si on doute parfois de cette affirmation et de l’efficacité des efforts fournis, persévérons par obéissance au Seigneur. La fidélité prime sur l’efficacité.

 

 

 

 

 

ROMAIN EHRISMANN
pasteur de l’Église de Châtenay-Malabry
aumônier de prison

POUR ALLER PLUS LOIN…

Sur l’aumônerie de prison : www.protestants.org/prisons

Sur la justice restaurative : Je verrai toujours vos visages, film de Jeanne Herry, 2023

 

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1. Paul Gasnier, La collision, Gallimard, coll. Blanche, 21.08.2025.

CHRIST SEUL – Novembre 2025 – N°1168

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